Du 31 janvier au 1er février 1953, une importante dépression en provenance de la mer du Nord se dirige sur l'Europe centrale. Cette tempête entraîne des vents violents de secteur nord à nord-ouest, causant des dégâts importants en Europe de l'Ouest. Dans la nuit du 31 au 1er, la dépression associée à la marée haute entraîne plusieurs inondations par submersion marine en France, en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas. À Dunkerque (Nord de la France), les eaux provoquent deux brèches de 50 mètres dans la digue, entraînant l'inondation d'une partie de la ville. Néanmoins, en France, les dommages restent modérés comparés à ceux subis par d'autres pays proches, qui, en plus des conséquences économiques désastreuses, déplorent de nombreuses victimes : plus de 20 morts en Belgique, plus de 300 en Grande-Bretagne et, surtout, plus de 1800 aux Pays-Bas .
Les Pays-Bas, dévastés, tirèrent les enseignements de cette catastrophe et mirent en place des mesures pour ne plus être pris au dépourvu par la mer. Entre 1956 et 1986, ils construiront, dans le cadre du plan Delta, huit énormes barrages afin de fermer les bras de mer de Zélande et se protéger des eaux. Si on compare cette réaction à celle de la France – qui certes aurait pu être plus impactée qu'elle ne l'a été – l'écart entre les leçons de l'événement par les deux pays semble très conséquent, notamment en termes d'aménagements, de protection des littoraux et de budgets alloués. Le fait que certains ont eu à vivre un évènement particulièrement dévastateur et d'autres non n'explique pas tout.
Au-delà des aménagements moins présents chez certains, il convient aussi de mesurer la mémoire d'un tel évènement dans les populations moins impactées, comme à Dunkerque, ville également concernée par ces risques. Quelle incidence a-t-il eue sur la façon dont le risque de submersion est perçu près de soixante ans après ? Quels souvenirs ou enseignements reste-t-il de cet évènement vécu de façon moins violente sur le sol français mais largement relayé par les médias ? Peut-on parler de « culture du risque » ? En d'autres termes, il est intéressant de s'interroger sur le rapport au risque qu'ont les habitants d'une zone proche d'un territoire ayant vécu une catastrophe aussi importante que celle 1953. La question est d'autant plus importante dans ce contexte de changement climatique qui favorise l'élévation du niveau des mers et accentue les risques d'évènements tempétueux et d'inondation. Les premières investigations menées sur le territoire dunkerquois tendent à montrer que la population est peu préoccupée par ce risque.
Dans le cadre d'un travail de thèse, une enquête de perception du risque d'inondation a été menée au printemps 2016 au sein de la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD). Cette enquête alliait des méthodes de collecte de données qualitatives et quantitatives. Le volet qualitatif a permis d'interroger par entretien une vingtaine de gestionnaires, décideurs et techniciens sur leur vision du risque d'inondation et la politique de gestion locale qui lui est associée. Le volet quantitatif, axé sur une enquête par questionnaire, a permis d'interroger une part représentative de la population (n=450) de la CUD. Les thématiques abordées allaient du rapport au risque d'inondation (crainte, conscience...) à la perception du changement climatique, en passant par la connaissance des outils et comportements de prévention à adopter. La connaissance de l'évènement catastrophique de 1953 était bien-sûr abordée.
En plus de ces thématiques, deux aspects particuliers du questionnaire permettaient de mesurer les souvenirs et les enseignements tirés de cet évènement. Le premier correspondait à la réalisation de cartes de représentation du risque d'inondation par les enquêtés, afin de mettre en avant les zones considérées comme étant les plus risquées. Ces cartes permettent de comparer la perception habitante du risque aux cartes officielles du risque d'inondation réalisées par les services de l'État français en se basant sur l'aléa de 1953. Le second aspect mesurait, au sein de la population, la spatialisation du consentement à payer une nouvelle taxe de protection contre les inondations. Cette taxe, rendue possible par le transfert de la compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) de l'État vers les collectivités territoriales, découle d'une politique nationale de protection contre les inondations, décidée suite à la multiplication du nombre de tempêtes sur le territoire au cours des dernières décennies, dont notamment la très marquante tempête Xynthia de 2010. La compétence GEMAPI, prise par accès anticipé par la CUD au 1er janvier 2016, sera transférée sur l'ensemble du territoire français à partir du 1er janvier 2018. Cette enquête est la première à considérer le rapport de la population vis-à-vis de cette nouvelle taxe ayant pour objectif la protection contre les inondations.
Cette présentation propose de mettre en avant les principaux résultats obtenus de l'enquête.