Programme > By author > Jeanne Ludovic

Le terrorisme islamiste est-il un nouveau risque territorial et socio-spatial ?
Ludovic Jeanne  1, *@  
1 : Institut du Développement Territorial – Métis (Ecole de Management de Normandie)  (IDéT-Métis (EM Normandie))  -  Website
Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
9 Rue Claude Bloch, 14052 Caen -  France
* : Corresponding author

L'appel à participation commence par cette affirmation : « les travaux du congrès seront [...] consacrés aux problèmes qu'affrontent l'Europe et les géographes européens ». Dès lors, comment faire abstraction de la question du terrorisme islamiste ? Comment, pour les géographes, éluder le questionnement sur un phénomène dont la gravité et la pérennité en fait un enjeu vraisemblablement crucial pour le devenir de nos sociétés européennes en tant que sociétés démocratiques ? Cette communication s'inscrit donc dans l'une des postures fondatrices de la géographie sociale française, celle d'une « géographie sociale, critique et responsable », celle « d'une géographie des questions sociales ». Il est donc fondé de poser ces questions : pourquoi les géographes ne semblent se préoccuper ni du terrorisme islamiste ni des processus de radicalisation afférents ? Pourquoi, alors que plusieurs facteurs tendent à constituer ce terrorisme islamiste et ses radicalisations afférentes comme nouveau risque territorial, les géographes s'intéressent-ils si peu aux processus qui les sous-tendent ? Les géographes sont-ils en mesure d'apporter une contribution significative au contre-terrorisme ?

Cette communication commence par un état des lieux des recherches en géographie sur les terrorismes, les extrémismes, les radicalisations et l'Islam politique. Cet état des lieux est comparé à la situation dans d'autres disciplines des sciences humaines et sociales dans l'espace francophone. Ce bilan peut s'appuyer sur plusieurs documents publiés par les institutions de recherche française depuis 2015 mais aussi sur l'examen détaillé des sites et des documents de bilan des unités de recherche françaises. Cette situation française et francophone est mise en perspective avec celles d'autres pays européens et celle de l'Amérique du nord, singulièrement des États-Unis, où le consortium de recherche START (Study of Terrorism and Responses to Terrorism) est hébergé par l'université du Maryland. Il nous faut aussi poser les linéaments d'une explication à cette faiblesse de la recherche géographique sur le risque terroriste islamiste.

Un deuxième temps s'efforce d'établir en quoi le terrorisme islamiste, du fait de son évolution politique, idéologique et tactique avec l'État islamique (EI), constitue un nouveau risque territorial et socio-spatial. Cette partie s'appuie notamment sur l'analyse de données textuelles (textométrie) et l'analyse lexicographique des contenus textuels diffusés par l'EI en français et en anglais pour y repérer les lexèmes spatiaux et les analyser. Les premiers résultats de ce travail sont mis en regard des événements terroristes islamistes en France et en Europe occidentale depuis 2012. Cela permet de discuter le lien entre deux processus : la diffusion socio-spatiale de contenus discursifs propres à favoriser des actes terroristes islamistes et la concrétisation d'actes terroristes islamistes. La dimension spatiale de ce phénomène socio-politique se concrétise notamment dans le choix de lieux qui deviennent ainsi les cibles et les localisations des attaques projetées et, parfois, réalisées. Cette question est cruciale car plusieurs analyses développent la théorie de la « la fin de l'espace défendable ». Autrement dit, l'évolution des tactiques terroristes rend caduques beaucoup des pratiques de mise en sécurité de l'espace, notamment public. L'hypothèse est que c'est sur la perception diffuse de cette évolution que bien des lieux sont « chargés » d'un sentiment d'insécurité ou, du moins, de la perte de la conviction « d'y être en sécurité ». Or, c'est là l'un des objectifs tactiques des dirigeants de l'EI. Cela amène notamment à réinterroger - à l'aune des processus socio-spatiaux à l'œuvre avant, pendant et après une attaque terroriste islamiste – le concept de lieu et celui d'effet de lieu. Ces analyses mènent aussi à une interrogation typique de la géographie sociale, celle du lien entre le terrorisme islamiste (notamment sur les questions de recrutement et de trajectoires socio-spatiales des auteurs d'attentats) et inégalités socio-spatiales. Les caractéristiques socio-spatiales des auteurs et des acteurs des attaques terroristes islamistes doivent nous interpeller car elle marque une nette rupture par rapport à leurs alter-ego du djihadisme de 2e génération, celui d'Al-Qaeda.

Dans un troisième temps, la communication propose des éléments de réflexion sur la contribution des géographes au contre-terrorisme. Le principal problème du contre-terrorisme est « où et quand ? ». Contrairement à la plupart des problèmes de sécurité publique ou nationale, on ne peut s'appuyer sur des logiques de répression ou de dissuasion pour contrer le terrorisme islamiste. Il faut empêcher l'évènement de survenir. Autrement dit, les contributions analytiques doivent être orientées à des fins d'anticipation, c'est-à-dire d'évitement de l'évènement. Cette question est cruciale car chaque événement a un impact socio-spatial (notamment quant à la diffusion des représentations et des comportement liés à la peur) et donc produit des effets de lieu. La compréhension de ces effets est essentiel au contre-terrorisme car il faut bien saisir que l'objectif des organisations terroristes n'est pas atteint par l'attaque elle-même mais par ses effets sociaux. Or ces effets sont liés à la symbolique du lieu de l'attaque, à la scénographie de celle-ci et aux caractéristiques socio-spatiales des victimes. Mais ces trois éléments sont imbriqués dans la définition sociale du lieu lui-même. Autrement dit, la réaction sociale n'est pas extérieure à l'attaque terroriste et à son lieu mais en fait partie.


Online user: 1