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Les pratiques nocturnes des Européens, porteuses d'inégalités. Une approche quantitative.
Magali De Raphélis  1@  
1 : Doctorante en urbanisme et aménagement du territoire
Université de Reims - Champagne Ardenne : EA2076

Depuis trois décennies, on assiste, en Europe, à une intensification des activités nocturnes, notamment liées aux loisirs et aux interactions sociales (Gwiazdzinski, 2005). L'allongement de la durée moyenne des études, et par conséquent l'extension de la période de la jeunesse, sont pour partie responsables de cette modification des nuits urbaines (van Liempt et al., 2015). Cependant, cette intensification est aussi pour grande partie le résultat de politiques publiques visant à stimuler l'économie locale (Roberts et Eldridge, 2009), et à attirer des visiteurs et de nouveaux habitants dans un contexte de compétition inter-urbaine accrue (Chatterton et Hollands, 2003).

Cette intensification de la vie nocturne ne concerne cependant pas toutes les populations dans les mêmes proportions. Des mécanismes de sélection à l'entrée des établissements ou de discrimination par l'offre empêchent certaines catégories de personnes de prendre part à ces nouvelles activités nocturnes, au premier rang desquelles se trouvent les femmes, les minorités ethniques (Schwanen et al., 2012), et les personnes âgées (Espinasse, 2005). À cela s'ajoute une exclusion des personnes pour qui le temps de la nuit n'est pas un temps libre. La majorité des recherches portant sur les inégalités d'accès à la nuit urbaine se fondent sur des relevés de terrains, qu'ils soient qualitatifs ou quantitatifs, et insistent généralement sur l'impossible généralisation des résultats à une échelle plus large que celle du terrain (Schwanen et al., 2012).

Cette communication présentera des résultats issus de l'analyse des données des enquêtes "Emploi du Temps" de quatre pays d'Europe (la France, les Pays-Bas, l'Espagne et le Royaume-Uni) [N.B : Le choix de ces pays est dû à l'accessibilité à des données harmonisées. Dans l'éventualité où je parviendrai à obtenir des données harmonisées sur d'autres pays d'Europe, les résultats seront étendus à ces pays.] Produites par les instituts de sondage nationaux, ces données sont statistiquement représentatives des pratiques des résidents de chacun des pays et permettent ainsi de proposer une analyse des pratiques nocturnes à une échelle nationale, voire européenne. Ces analyses viseront à établir les déterminants sociaux et spatiaux de l'inégale participation aux activités nocturnes en Europe, afin de mieux anticiper les effets des politiques incitant au développement des activités nocturnes. Cette communication sera organisée en trois parties.

Dans un premier temps, une définition de la nuit européenne par les pratiques semble être nécessaire ici. En effet, le développement de la lumière artificielle a rendu floues les bornes de ce qu'on désigne sous le terme de "nuit" en Europe. Plusieurs recherches soulignent l'existence de différentes périodes de la nuit, mais les bornes de celles-ci restent imprécises (Gwiazdzinski, 2005 ; Espinasse, 2005). À partir d'une analyse des diagrammes de répartition des activités au cours de la nuit, je proposerai des seuils de définition de ces différents temps de la nuit. Je montrerai que ces seuils sont atteints à des moments différents selon les villes et pays, et qu'il est donc préférable de comparer les activités en fonction de la période de la nuit auquel elles sont réalisées (début, milieu, fin) plutôt qu'en fonction de l'heure.

Dans un second temps, je montrerai qu'il existe différents "types" d'emplois du temps nocturnes, et que les différentes catégories de population ne sont pas équitablement réparties entre eux : les emplois du temps nocturnes contraints (notamment liés au travail) sont surreprésentés parmi les individus les moins favorisés (socialement ou spatialement), tandis que les emplois du temps nocturnes libres, dont le temps est alloué notamment aux loisirs ou aux interactions sociales, sont surreprésentés parmi les populations les plus favorisées. Ainsi, les politiques visant à développer les activités nocturnes renforcent les inégalités sociales et spatiales déjà existantes. À titre d'exemple, les premiers traitements effectués sur la base de l'enquête emploi du temps menée en France font apparaître une surreprésentation du travail nocturne parmi les personnes résidant dans des quartiers d'habitat mixte (maisons et immeubles) et dans les quartiers de grands ensembles et une sous-représentation pour les personnes résidant dans des quartiers de maisons. Pour réaliser cette typologie des pratiques nocturnes, je mettrai en oeuvre une analyse de séquences complétée par une classification hiérarchique (Abbott et Hrycak, 1990), en utilisant les bornes de la nuit préalablement définies. Ces résultats seront déclinés pour chaque pays, et mis en regard des politiques nocturnes menées par chacun d'entre eux.

Dans un troisième temps, je montrerai que les politiques nocturnes peuvent avoir des effets au-delà du temps de la nuit, et affecter les vies - et donc les villes - diurnes. Pour cela, je présenterai les résultats d'une corrélation entre type d'emploi du temps nocturne et type d'emploi du temps diurne.


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