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Les relations de proximité entre agriculteurs et consommateurs : spécificités nationales et intégration européenne
Michaël Pouzenc  1@  
1 : University of Toulouse
LISST - Dynamiques Rurales

Parmi les nouvelles formes de vente des années 2000 et 2010, les circuits courts connaissent un développement foisonnant. Ces modes de commercialisation des produits agricoles s'exercent par la vente directe du producteur au consommateur ou par la vente indirecte à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire (Ministère français de l'Agriculture, 2009). Ils correspondent aux nombreuses démarches individuelles de vente à la ferme ou sur les marchés de plein vent ainsi qu'aux démarches plus collectives pour organiser des circuits (routes des vins...), des marchés paysans, des paniers de produits ou des magasins de producteurs. Ces initiatives se doublent d'expériences portées par des consommateurs, telles que les groupements d'achat ou les ‘Community Supported Agriculture' (CSA), dont les variantes ne cessent de se multiplier.

 

Leur multiplication s'observe dans le monde entier, à partir de préoccupations formulées partout dans des termes très similaires. Ces initiatives visent à défendre une alimentation saine et les consommateurs impliqués tendent à se réapproprier le travail de qualification des produits de base, travail habituellement délégué aux pouvoirs publics et aux acteurs des filières agro-alimentaires (Dubuisson-Quellier, 2004, Lamine, 2008). Pour ces consommateurs engagés (« consom acteurs »), la sociabilité entre « mangeurs » et agriculteurs est le principe vecteur de cette requalification. Pour les producteurs impliqués, cette sociabilité permet de renouer avec la confiance des consommateurs dans leur agriculture et de revaloriser le métier de paysan (Vincq et Mondy, 2010).

 

Ces initiatives visent également à contribuer au maintien de l'agriculture paysanne (Mundler, 2006). Les exploitations agricoles dites paysannes font à la fois figure de résistance et d'innovation. En se passant des intermédiaires, les producteurs s'investissent dans des débouchés de vente directe variés. La dimension collective de ces réseaux contribuerait à faciliter la recherche de débouchés et à garantir au producteur un revenu plus stable. L'organisation de ces collectifs conditionne fortement les conditions de rentabilité et de maintien de ces formes de production (Olivier et Coquart 2010). Plus largement, qu'il s'agisse d'une réaction à la mondialisation, qu'il s'agisse de « sortir des schémas classiques de filière » et de « redécouvrir le territoire comme un lieu pertinent d'organisation de l'action collective » (Transrural Initiatives n° 359, 2008) ou qu'il s'agisse simplement de saisir l'opportunité de nouvelles niches de marché, tous les acteurs concernés s'inscrivent dans un mouvement de fond en faveur de la relocalisation de l'économie.

 

Pour autant, ces revalorisations du local ne se limitent pas à un localisme, un repli sur soi rejetant la mondialisation. Les réflexions sur les circuits courts s'appuient largement sur le partage d'expériences à l'échelle internationale ; elles mobilisent des formulations des problématiques agricoles, tout comme des conceptions de l'économie, du rapport à la nature ou de l'autonomie de la personne qui se diffusent de manière très globalisée. De telles réflexions font fi des frontières régionales, nationales ou européennes. Elles y sont même plutôt hostiles : les tentatives de centralisation, par exemple de mise en place d'organisations nationales, sont systématiquement suspectées de vouloir surplomber les organisations locales, de les déposséder de leur autonomie et de leur capacité d'initiative.

 

Pourtant, force est de constater que cette articulation nouvelle du mondial et du local est loin d'être indépendante des contextes historiques nationaux, voire européen, ou des découpages institutionnels. Cette communication s'efforcera de le montrer en croisant une revue de la littérature, une analyse cartographique de la multiplication de certains circuits courts et une analyse des sites internet développés par différents milieux associatifs promoteurs de circuits courts. Il ressort ainsi que :

- la rapidité de développement de telle ou telle forme de circuit court semble largement liée aux trajectoires historiques nationales en matière d'agriculture, de mouvements sociaux, de mobilisations citoyennes et écologiques...

- nombreuses sont les tentatives d'organisations départementales, inter-régionales, nationales voire européenne, qui reprennent à leur compte les découpages institutionnels préétablis,

- la prise en compte politique du développement des circuits courts, les dispositifs de régulation ou d'accompagnement adoptés par les pouvoirs publics sont différenciés d'un pays à l'autre.

 

Ainsi, même lorsqu'il s'agit largement d'un commerce sans commerçants et même lorsqu'il s'agit de répondre à des préoccupations formulées en des termes similaires partout dans le monde, l'uniformisation du commerce s'annonce tout à fait partielle.

 


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