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Un fond(s) de ville en ses clichés : Tuerie à Marrakech (SAS, 1995)
Anna Madoeuf  1@  
1 : Cités, Territoires, Environnement et Sociétés  (CITERES)  -  Website
CNRS : UMR7324, Université François Rabelais - Tours
33 allée Ferdinand de Lesseps BP 60449 37204 Tours cedex 3 -  France

La série des SAS, romans de gare à grand succès, écrits par Gérard de Villiers entre 1963 (SAS à Istanbul) et 2013 (La vengeance du Kremlin), soit 200 titres parus à une cadence fort soutenue et vendus à plus de 100 millions d'exemplaires (l'auteur serait — hélas... —, à l'aune de ses ventes, le romancier français le plus populaire), se fonde sur des ressorts éprouvés et attendus, mettant en scène un personnage (SAS), agent secret de son état, dans une aventure contemporaine dont la trame est une intrigue d'espionnage sur fond de référent géopolitique régional et mondial, et où alternent de manière rythmée et presque mécanique, des scènes de violence et de rencontres féminines assorties d'ébats sexuels. La couverture des éditions récentes de ces romans légers (environ 250 pages d'une histoire peu complexe, rédigée dans un style peu sophistiqué) présente invariablement la photo d'une jeune femme sexy (différente à chaque fois), tenant une arme à feu. Chacun de ces romans est échafaudé depuis un voyage vers une contrée — en général une ville — de prédilection, renouvelant par ce biais, celui d'un exotisme convoqué, l'espace de référence (la destination) et la problématique de l'action.

Tuerie à Marrakech, paru en 1995 aux éditions Gérard de Villers, est le 117e opus de la série, entre la Traque Carlos (1994) et l'Otage du triangle d'or (1995)... L'on ne s'attachera point ici à l'intrigue stricto senso mais à une dimension tant parallèle que connexe du récit, celle de la destination promise par le titre du roman : la ville de Marrakech. Le projet est de mettre à jour les modalités d'expression du paysage contextuel de la cité dans une narration performante, dans un scénario où Marrakech est simultanément imprimée dans le fil de l'histoire et exprimée, à tous les sens du terme, ramenée à des essentiels signifiants, à son cliché : « Lieu commun, banalité que l'on redit souvent et dans les mêmes termes ; poncif » (Larousse), soit bâtie via les ingrédients et composantes de ce cliché. Le personnage (et narrateur) principal est certes fictionnel, mais il est néanmoins repositionnable dans des cadres / mondes géopolitiques et spatiaux, lesquels sont donnés comme réalistes, depuis une vision résolument et caricaturalement ethnocentriste, abstraite de toute contingence sociale. À l'évidence, aucune concession n'est ici faite au politiquement correct, non plus a fortiori à une quelconque influence d'une conscience post-coloniale.

De l'ouverture du roman, située d'emblée dans un somptueux riad du secteur de Bab Doukkala dans la médina, à la dernière mention textuelle faite de Marrakech : la possibilité de trouver un taxi à la jonction des avenues de France et Mohammed V ; de la place Jemaa el-Fna au palace de la Mamounia, en passant par les ruelles de la médina et les faubourgs du quartier de Sidi Youssef Ben Ali, comment la ville de référence est, au travers d'une sélection raisonnée de ses repères, présentée et représentée, quels sont ses authentifiants et sa texture ? Il s'agira, pour en rendre compte, de pointer les choix effectués, l'ordre d'apparition des lieux, leurs relations et coïncidences, leur inscription dans la définition d'un paysage constitutif, leur place et récurrences éventuelles dans les itinéraires évoqués, les commentaires associés à la description proprement dite, de relever également les options de parcours et de transects (trajets en voiture, cheminements à pied), les poses générales fondées sur des perspectives ou panoramas édifiées depuis un lieu, un surplomb, les focales sur / depuis des sites, les évocations obligées d'images (la « ville ocre »), de bribes d'histoire de la ville (« cité impériale berbère », d'objets signifiants (les remparts, la Koutoubia), etc. L'on pourra également, à l'aune de l'image touristico-médiatique de la cité actuelle, plus de vingt ans après la parution du roman, mettre en parallèle la mise en parcours des lieux et objets incontournables (au sens premier du terme), avec celle des circuits tels que présentés par les guides touristiques, en ne retenant que la trame spatiale et ponctuelle des itinéraires dits « essentiels ». L'objectif sera donc de dresser la géographie et la cartographie inhérentes à cette perspective particulière et essentialiste, fondée sur l'élaboration d'un fond de ville brossé depuis une logique combinée de cumulation et de successivité de référents et de références, pour envisager de quels décor et paysage la ville de Marrakech est-elle ici le nom.


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