L'intérêt pour la littérature de l'intime comme corpus de sources et sa cartographie, grâce au soutien des systèmes d'information géographique (SIG) mobilisés pour le traitement des informations issues du dépouillement des sources, comme autant de témoignages des circulations des savoirs et des pratiques scientifiques et techniques, ne se dément pas. Le cas des carnets - de voyage, de prospection minière ou céramique - d'Alexandre Brongniart (1770-1847), savant minéralogiste également administrateur de la Manufacture de porcelaine de Sèvres au XIXe siècle, sera ici présenté en lien avec des démonstrations cartographiques de leur influence sur le parcours scientifique du personnage, par exemple avec l'apport majeur que constitue la Carte géognostique des environs de Paris cosignée avec Georges Cuvier en 1810, qui pose les fondements spatiaux de la géologie en France et qu'un SIG permet de reprojeter de nos jours.
Depuis les années 1980, la question des pratiques connaît un large succès dans les sciences sociales, et plus particulièrement dans les études historiques, philosophiques et sociologiques des sciences. De fait, la littérature de voyage, forte de l'originalité française du lien historique entre histoire et géographie, peut trouver à s'insérer dans ce renouvellement, et fait l'objet de travaux comme ceux de Marie-Noëlle Bourguet (Sciences, Espaces et voyages, 1993), ceux des Humeurs vagabondes, de la circulation des hommes et de l'utilité des voyages, de Daniel Roche (2003), du Grand Tour revisité de Gilles Bertrand (2008), ou des Itinéraires, Guides de voyage et tourisme alpins (1780-1920) dévoilés par Ariane Devanthery (2016), en passant par les Autogenèses ou autre Brouillon de soi de l'historien de la littérature Philippe Lejeune (2003). La littérature itinérante, également source et objet des Savoirs-mondes, réseaux de sociabilités savantes en cours de construction mis en évidence par Pilar Gonzalez Bernaldo et Liliane Hilaire Pérez (2015), peut être ainsi saisie par les correspondances et carnets de Brongniart comme autant de traces de la pratique du savant en voyage au tournant du XVIIIe siècle pour comprendre une influence sur le parcours scientifique de ce savant au XIXe siècle.
Alexandre Brongniart (1770-1847) ne fut pas seulement l'administrateur de la Manufacture de porcelaine de Sèvres, d'un régime à l'autre, de 1800 à son décès. Ce fut également un savant dont les recherches et travaux ont essaimé aussi bien l'histoire naturelle (la zoologie, l'entomologie), la minéralogie, la géologie. L'Angleterre, l'Italie, les Alpes, les Pyrénées, le Vexin ou le Limousin, le bassin parisien : autant de virées, balades, tournées ou voyages qui jalonnent le parcours du personnage où les cartes, les routes et les passages sont convoqués. Ces pratiques de littérature pour soi ou pour baliser ces sorties minéralogiques, entomologiques ou botaniques peuvent être considérées comme des éléments-clés pour analyser le savant en ses diverses composantes, en mettant l'accent sur les dispositifs concrets de son activité de travail intellectuel qui consiste à « faire » de la science au quotidien. Elles s'articulent avec la vocation de longue durée des résultats scientifiques (recherches, essais, expertise ...) ou comme les prémices d'une science à produire et à publier (Traité de minéralogie, Traité des arts céramiques). Les carnets de notes nous le laissent entrevoir : minutieux, méthodique et attentif, toujours notant tout ce qu'il juge susceptible de l'instruire, d'industries en phénomènes naturels. Le jeune savant - observateur-acteur de la vie érudite et savante - croisant des personnalités remarquables sur recommandations, découvrant les collections d'insectes et autres cabinets de curiosité et de minéralogie, visitant les sites et merveilles inscrits dans les paysages à découvrir, se forme en même temps qu'il voyage.
Les systèmes d'information géographique (SIG) permettent d'abord de traiter les informations issues des carnets. Méthodologiquement, le SIG accroit la capacité de réaliser de la cartographie diachronique (en permettant le jeu sur les échelles temporelles et spatiales). Les cartes extraites et mises en forme peuvent ensuite être reliées à d'autres, retrouvées également par le catalogue de la vente de la bibliothèque Brongniart en 1858. Elles permettent au final d'envisager Alexandre Brongniart dans la réalité spatiale des relations et circulations scientifiques et techniques en Europe en prenant appui sur les données cartographiques de sites ou de villes. Ainsi, la cartographie nous permet de rendre compte de la circulation des savoirs mais également de déterminer les critères d'une typologie des voyages, entre similitude de la condition matérielle et intellectuelle, critères subjectifs basés sur le ressenti des lieux visités et critères objectifs des buts, apports et acquis, puisque le retour parmi les siens est au moins aussi important que le départ à l'aventure.