D'importants changements urbains liés en partie aux dynamiques de la gentrification concernent les grandes métropoles européennes et mondiales aujourd'hui (Carpenter, Lees, 1995 ; Clerval, 2016 [2013]). La gentrification transforme notamment la rue commerçante gentrifiée de quartier. Celle-ci jouit d'un nouveau statut de centralité, à la fois commerciale et consommatoire, dans la ville (Fleury, 2003). La rue commerçante devient le lieu de l'expérience urbaine et de la citadinité, et refonde les interactions sociales et commerciales locales (Charmes, 2005). Les mutations des structures du commerce de détail, notamment en centre-ville, en sont l'une des expressions les plus visibles. La gentrification est un processus complexe car articulant différentes dimensions (Chabrol et al., 2016), notamment résidentielle, commerciale ou politique qui refaçonnent les paysages urbains des grandes métropoles européennes, que ce soit Paris (Chabrol, 2011), Bruxelles (Van Criekingen, Fleury, 2006), Barcelone (Ter Minassian, 2009) ou Londres (Hamnett, 1995). Le commerce se situe à l'interface du phénomène de gentrification, à la fois à son origine et à sa conclusion (Chabrol, Fleury, Van Criekingen, 2014). Ce contexte favorise l'émergence de perceptions et représentations renouvelées du commerce (Pouzenc, Navereau, 2016) qui soutiennent de nouveaux modes de consommation. Le commerce de détail de quartier est particulièrement perméable à ces tendances, et s'affirme comme le support de nouveaux modes d'achats et de consommation locale, mettant en lumière le rôle accru du consommateur dans le façonnement du commerce et du quartier (Lemarchand, 2016). Les néocavistes proposent différents discours qui se structurent à l'aune de leur contexte urbain d'inscription mais aussi de la diversité de la demande des populations résidentes dans ces quartiers. Le commerce renvoie ainsi de plus en plus à des questions de cultures (Lemarchand, 2011), notamment de consommation (Crang, 2001), mais également à des espaces citadins de consommation (Mermet, 2011), particulièrement ceux de quartiers gentrifiés, porteurs d'identités commerciales et consommatoires spécifiques (Corbillé, 2013). Ces nouvelles approches du commerce sont marquées par la « refonte » des discours commerciaux alimentaires (Dupont, 2011) afin qu'ils entrent en résonance avec le « style de vie » et l'esthétique résidentielle et commerciale véhiculée par les quartiers gentrifiés (Lehman-Frisch, 2002).
Le cas des commerces de vin de type néocavistes, réinterprétations contemporaines du caviste traditionnel, illustre ainsi une nouvelle approche du commerce et de la consommation de vin qui se développe dans les centres-villes gentrifiés des grandes agglomérations urbaines. Ce phénomène d'essor d'une nouvelle forme de commerce de détail de est particulièrement palpable à Paris (APUR, 2015), notamment au niveau du commerce alimentaire spécialisé sur les produits régionaux et territoriaux, et les produits bio et nature (APUR, 2016). De cette façon, l'analyse du discours des commerçants de détail de type néocavistes dans certains quartiers parisiens gentrifiés « renseigne » en quelque sorte sur le nouvel ancrage social, culturel et spatial constitué par le commerce de détail. Nous chercherons à identifier comment ces commerces se posent en producteurs de « diversité marchande située », c'est-à-dire en lieu d'expression d'identités de consommation (Mermet, 2016). Il s'agit de comprendre en quoi les discours des néocavistes induisent des modes de consommation locaux et comment ils participent à organiser, à la fois « l'unité » du quartier, par la projection d'un imaginaire consommatoire, identitaire et local signifiant, tout en alimentant la diversité commerciale par l'intermédiaire de stratégies de différenciation et de segmentation de l'offre. Ce « commerce de précision » (Moati, 2011) élaboré en direction d'un certain type de clientèle dans un certain type de quartier, tend à caractériser le commerce et le quartier, et à définir l'espace urbain en tant que « lieu d'inscription du commerce et territoire produit par le commerce. » (Renard-Grandmontagne, 2016, p. 23). Notre proposition vise donc à identifier comment les commerçants de détail, aidés par de nouveaux discours commerciaux, s'inscrivent dans le changement urbain et commercial des villes tout en y prenant une part centrale. Le néocaviste apparaît ainsi non pas (ou plus) comme un simple marchand de la « proximité » dans la ville, mais bel et bien un faiseur de ville (Lallement, Corbillé, 2007) qui participe de l'affirmation d'une culture de consommation locale (Jackson, 2004), qui renouvelle le sens de la relation entre identité et territoire (Di Méo, 2007) au travers du commerce et de la consommation.