En 1821, Étienne-Jean Delécluze (1781-1863), peintre et critique d'art, élève de David, entreprend un voyage en Auvergne. Dans le Puy-de-Dôme, en Haute-Loire, dans le Cantal, à chacune de ses étapes il réalise une ou plusieurs aquarelles, agrémentées de notes constituant autant de longues légendes détaillées. Le recueil, relié, dans lequel il les dispose, sans doute réalisé avec l'intention originelle de faire lithographier les planches, en vue d'une publication, est resté inédit. Il a été acquis récemment aux enchères par le musée d'art Roger-Quilliot de Clermont-Ferrand et pris pour sujet d'étude par une équipe pluridisciplinaire de l'université Clermont-Auvergne. Etudier l'itinéraire suivi, c'est travailler sur l'implicite, alors même que c'est le parcours qui fait le voyage : Delécluze ne le verbalise qu'assez peu en tant que tel, et c'est essentiellement à partir des traces que constituent les étapes représentées et commentées qu'il faut opérer et souvent extrapoler. Isoler expérimentalement la partie cantalienne du voyage permet de s'interroger sur le rapport que peut développer le chercheur avec une telle source. Au-delà des modalités méthodiques et méthodologiques de reconstitution de l'itinéraire, croisant les indices du document, ceux des archives écrites et cartographiques, et le recueil de pratiques et d'une « mémoire de terrain », la contrainte d'échafaudage d'hypothèses alternatives, la sélection des critères permettant de dessiner chaque scenario, sont autant d'entrées dans l'atelier du chercheur où la dimension épistémologique est présente. Vers quoi tend l'effort de dépassement du caractère intermittent de l'information, jusqu'à formaliser graphiquement l'itinéraire ? Et comment articuler cette prétention à une forme de rationalité totalisante dans la façon de considérer le voyage (donc, d'une certaine façon, de se le représenter), avec le rapport plus indiciaire, sensible et subjectif du voyageur ? Que signifient, tenant compte de leur dimension historicisée-contextualisée, ses évocations aussi multiples qu'a priori aléatoires de la route, la façon dont il module les mentions de directions, de toponymes... ? Qu'éclaire l'écart entre la reconstitution de l'itinéraire et son « récit à trous » ?