Avec près de 30 millions de touristes dans ses rues en 2015, Barcelone devient un territoire laboratoire dans les études urbaines qui s'intéressent de près ou de loin aux problématiques en relation avec le tourisme.
Fruit d'un long processus de construction, entre acteurs privés et publics, « la marque Barcelone » évoque un imaginaire très positif, un lieu facile à vivre, agréable et beau , un modèle de référence, que les architectes et urbanistes aiment imiter ou citer.
L'anthropologue Manuel Delgado la compare même à une top-modèle, qui a été entrainée pour être attractive et séductrice, qui passe tout son temps à se maquiller et à se faire belle devant le miroir pour se montrer sur la passerelle des villes « Fashion », car la Barcelone Fashion est celle de la réussite, celle qui est à la mode, celle qui, finalement est une mode (Manuel Delgado 2007)[1]. Pourtant, aujourd'hui, la Barcelone touristique suscite de nombreuses critiques de la part de ses habitants, s'invitant dans l'agenda des mouvements sociaux qui dénoncent les nuisances de cette industrie grandissante.
Durant la campagne politique des dernières élections municipales en Mai 2015, sa régulation fut une promesse clé de campagne à l'élection du parti de Ada Colau pour briguer la mairie. Issue des mouvements sociaux de défense des droits au logement, la nouvelle équipe du changement voit dans le tourisme l'élément majeur à la désorganisation du tissu urbain et pense sa régulation comme la solution aux maux des citoyens. D'après un sondage de 2016, le tourisme est d'ailleurs apparu comme la première préoccupation des Barcelonais, devant le chômage.
Aujourd'hui, la problématique touristique cristallise les tensions politiques entre les partis qui constituent le conseil municipal, un jeu politique sans précédents où certains accusent la maire d'avoir exacerbé le problème du tourisme pour en faire un simple argument de campagne. Le clivage politique entre les partis est de plus en plus marqué, notamment entre les partis qui assuraient, par la mise en place de stratégies de coalition, une majorité au parti BarcelonaEnComù.
Mais en quoi le tourisme est-il un enjeu Géopolitique ?
Il l'est d'abord dans sa régulation. Une bonne régulation de celui-ci sera un élément clé a la réélection du parti au pouvoir, car le mécontentement de la population locale - depuis 2014 avec les premières manifestations dans le quartier de la Barceloneta- s'accentue et devient un des thèmes centraux des revendications des associations des voisins, relais historique des contestations des quartiers vers la mairie. Il est l'est également car, le tourisme met en évidence un territoire inégal, un rapport de centre-périphérie déjà très marqué par les inégalités économiques, et où l'importance des différents contextes locaux et des spécificités de chaque quartier aide à une analyse globale des rivalités et des politiques qui en découleront.
1- De l'utilité d'une analyse géographique.
Appréhender le tourisme à différents niveaux d'analyse permet en effet de mettre en évidence l'existence d'une problématique « centre-périphérie » à cette question. On distingue facilement trois ensembles spatiaux : un centre saturé, cœur historique de la ville, où l'on trouve aujourd'hui plus de population flottante que de population résidente, qui concentre la majorité des services destinés à l'industrie touristique et où la trame urbaine très serrée -rues étroites- renforce le sentiment de saturation des résidents, qui progressivement se sentent dépossédés de cet espace « destiné au loisir » ; une périphérie isolée et marginalisée, que personne ne connaît et ne visite et un entre deux, dont la superficie varie selon la vague expansive de la masse touristique et qui se converti en espace dortoir pour ces étrangers.
Dans sa régulation, il est d'ailleurs compris de cette manière par les pouvoirs en place, prônant une décroissance naturelle au centre en interdisant l'ouverture de nouveaux lits pour touristes mais qui permet la construction de nouveaux hôtels dans les quartiers en lointaine périphérie, élément qui polarise les contestations des citoyens qui voient en cette distinction une forme de promouvoir un tourisme et d'homogénéiser la masse touristique à l'ensemble de la ville.
2- De l'utilité d'une analyse Géopolitique.
Les contestations locales qui ont pris corps dans les différents quartiers participent à considérer, de manière globale, Barcelone comme une « ville en conflit » : changer le discours officiel sur le tourisme reste la priorité des collectifs engagés afin de pouvoir dénoncer les emplois précarisés du secteur, la privatisation des espaces publics, la gentrification et la modification en profondeur de ce qu'ils entendent comme leur ville : le tourisme de masse étant considéré comme un facteur déstabilisant dans la relation que l'habitant entretient avec son territoire. De plus, les mouvements sociaux ont permis à introduire le concept de « décroissance touristique » en l'imposant au discours officiel du programme d'action de la mairie.
Garante de l'analyse multi-scalaire, la Géopolitique permet ici de comprendre comment la décroissance est comprise dans les différents espaces, et comment la mairie pense l'imposer. De plus elle permet de mettre en perspective les différentes stratégies locales pour revendiquer « le droit à la ville » (Henri Lefebvre) , c'est à dire le droit à vivre dans une ville plus juste où l'espace public appartient à tous, et où barcelonais et étrangers –touristes- peuvent prétendre au vivre ensemble sans que l'un ne se développe au dépend de l'autre, bien loin de la Tourismophobie ou xénophobie dont certains acteurs favorables à l'industrie touristique, affublent ceux qui défendent ce droit.
[1] Delgado, Manuel, 2007, "La ciudad mentirosa. Fraude y miseria del "modelo Barcelona"", Madrid: Los libros de la Catarata