Les frontières du Nationalisme territorial catalan
Barbara Loyer  1@  
1 : Institut Français de Géopolitique - Centre de Recherches et d'Analyses Géopolitiques  (IFG)  -  Website
Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis, Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis
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Michel Foucher a expliqué dans sa thèse, Fronts et Frontières, qu'il fallait entendre le concept de frontière comme une ligne de front mais aussi comme une enveloppe rassemblant des citoyens partageant un même système juridique fondé sur la volonté de vivre ensemble. Un peu plus de la moitié des parlementaires catalans luttent aujourd'hui pour que le territoire de la Catalogne soit bientôt indépendant. La question indépendantiste telle qu'elle a été posée durant ces dernières années reflète un débat plus large et très européen : A quoi servent les frontières dans un contexte européen libre échangiste ? Qui seront les étrangers d'une Catalogne indépendante ?

La division de la société catalane est aujourd'hui profonde, comme si, aujourd'hui, une frontière, avant de pouvoir être tracée sur le sol, devait s'inscrire dans les consciences. Le « bordering » est une opération géopolitique autant qu'un processus institutionnel.

Pour étudier ce projet de création d'une nouvelle frontière en Europe la communication propose d'analyser

1. Le tracé frontalier

En Catalogne les citoyens ont une profonde conscience des 375 km de frontière montagneuse qui sépare leur pays de la France, en revanche les 359,9 km de l'Aragon et les 52,9 km avec la communauté de Valence ne sont pas très marqués dans les esprits. La zone frontalière est diverse alternant des espaces vides, la zone urbaine de la principale ville de la Catalogne intérieure, Lleida, et le delta de l'Ebre. Les enjeux géopolitique sur l'eau, l'accroissement des surfaces irrigués ou la défense des écosystèmes, feraient sans doute de ce territoire une source de conflits amplifiés dans le cas d'une hypothétique indépendance de la CatalogneEn Aragon, une frange très dépeuplée mais considérée comme linguistiquement catalane (dans les lois aragonaises), appelée en Catalogne « la marge de l'ouest » (Franja del ponent) ou, du point de vue aragonais, frange orientale de l'Aragon.

On répondra à la question des liens de l'économie locale des zones limitrophes de l'Aragon et de Valence avec les consommateurs ou travailleurs extérieurs à la communauté autonome catalane et sur la question géopolitique de l'eau de l'Ebre.

L'électorat des limites a voté de manière dispersée le 9 novembre 2014, le non est minoritaire dans delta de l'Ebre et la zone de Lleida. Aux législatives 2015, la majorité des 55 communes proches de la frontière ont voté majoritairement indépendantiste mais 8 des 18 communes de plus de 2 000 habitants ont voté majoritairement pour la confluence politique d'extrême-gauche de la maire de Barcelone, Ada Colau (favorable au référendum et pour une république catalane mais qui se dit non nationaliste) devant les indépendantistes. Cette frontière n'a cependant théoriquement pas vocation à être pérenne car deux des trois partis indépendantistes (hors En Comù) disent vouloir rassembler dans l'indépendance tous les territoires de langue catalane.

On répondra à la question de la stratégie territoriale des indépendantistes dans cette zone

2. La frontière catalane dans les esprits

L'indépendance est fondée sur l'idée que les Catalans seraient des étrangers en Espagne. Elle vise à créer un territoire limité par des frontières juridiques au delà des quelles seules les lois du parlement local pourront s'appliquer aux population résidentes. En 2015 le Parlement catalan, a engagé un processus de déconnexion « démocratique » pour créer une nouvelle constitution, service des impôts national et sécurité sociale nationale et demande aux élus de ne plus appliquer les lois espagnoles mais seulement les lois issues du Parlement catalan. On sait que les milieux économiques sont assez divisés. Les petits patrons sont plus indépendantistes que les grands groupes. Les acteurs de l'économie sont en fait étroitement liés avec les milieux économiques du reste de l'Espagne.

La communication proposera des schémas d'acteurs faisant apparaître ces liens et leur inscription dans les débats sur l'indépendance. 

 3) Neutraliser l'image négative de la frontière

Les indépendantistes catalans souhaitent rester dans l'Union Européenne c'est à dire se soumettre aux règlements européens en matière de déficit, circulation des capitaux et des travailleurs, législation commerciale. La puissance des lobbys industriels à Bruxelles dont l'évocation fonde le vote anti UE des extrêmes droite et gauche en Europe, n'est pas évoquée comme un problème pour la souveraineté nationale catalane.

Rendre amicale l'idée de la frontière est une opération de marketing politique complexe dans le contexte des nationalismes d'extrêmes droite européens. La frontière porte une image d'exclusion et d'intolérance que les catalanistes veulent à tout prix éviter. Les sept premières mesures que le futur gouvernement s'engageait à appliquer en cas d'indépendance sont l'aide aux personnes en difficulté pour payer l'eau et l'énergie, l'aide au logement, la mise en place d'un service catalan de Santé, le refus d'appliquer les lois permettant une contrôle par l'Etat espagnol des finances locales en cas d'endettement, l'accueil des réfugiés, libéralisation du droit à l'avortement, un plan social et de gestion de la dette spécifique. 

Conclusion

Le candidat socialiste Patxi Lopez, ex président de la communauté autonome basque, propose dans son projet pour l'Espagne de déconnecter des territoires le concept de nation afin que chacun puisse avoir le droit à se réclamer d'une identité nationale sans que cela n'induise une politique territorialisée nationaliste. Cette proposition est une nouveauté dans le paysage idéologique espagnol. Elle traduit l'impasse logique d'un nationalisme territorial en Espagne qui obligerait à reconstruire des frontières là où l'histoire les a fait disparaître.


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