Cartographier les parcours de personnages de roman pour saisir la dimension sensible, performative et identitaire des mobilités : Mélo de Frédéric Ciriez
Florence Troin  1, *@  , Pauline Guinard  3, 2, *@  
1 : Cités, Territoires, Environnement et Sociétés  (CITERES)  -  Website
CNRS : UMR7324, Université François Rabelais - Tours
33 allée Ferdinand de Lesseps BP 60449 37204 Tours cedex 3 -  France
3 : Laboratoire Architecture,Ville, Urbanisme, Environnement  (LAVUE)  -  Website
Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis, Université Paris Nanterre : UMR7218, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7218
Ecole Nationale dÁrchitecture Paris Val de Seine 3 quai Panhard et Levassor 75013 Paris 7ème étage bureau 711 -  France
2 : Ecole normale supérieure  (ENS Paris)
École normale supérieure - Paris
45, rue d'Ulm75230 Paris cedex 05 -  France
* : Corresponding author

En cartographiant et en analysant d'un point de vue spatial les parcours des trois personnages centraux du triptyque que constitue Mélo, le deuxième roman de Frédéric Ciriez (auteur français contemporain) paru en 2013, nous ambitionnons de nous interroger sur le sens de ces mobilités, notamment dans ce qu'elles nous révèlent des rapports sensibles des personnages à l'espace. Nous montrerons ainsi que les mobilités de ces trois personnages sont constitutives non seulement de leur relation à l'espace, en l'occurrence urbain et plus précisément parisien, mais aussi de leur identité (sociale, culturelle, géographique, etc.). Par leurs déplacements, tant individuels que collectifs, dans la ville, les personnages de Mélo se construisent donc eux-mêmes en même temps qu'ils contribuent – de manière performative – à créer l'espace urbain, voire métropolitain, qu'ils parcourent. Ces mobilités narratives nous invitent dès lors à repenser, au-delà et par delà le roman, la place que les déplacements – compris comme des engagements physiques et sensibles des corps dans l'espace – prennent dans nos propres pratiques de la ville.

En nous concentrant plus particulièrement sur le personnage de « Parfait de Paris », le chauffeur de camion-bennes congolais, sapeur à ses heures, nous étudierons plus spécifiquement trois systèmes de mobilités, corrélés à trois régimes de visibilité, le tout renvoyant à trois modes d'habiter différents. Ceux-ci s'entrelacent et permettent d'élaborer la thèse du « désir d'ubiquité » de « PP », entre l'ici (Paris) et l'ailleurs (l'Afrique, « Brazza », etc.), d'une part ; entre un monde de labeur (le jour, dans les rues du Xe arrondissement) et celui de l'apparence (la nuit, à Montrouge) d'autre part. Par l'emploi d'un nombre considérable de toponymes, l'auteur nous permet de retracer précisément les itinéraires de « PP », mêlant à ces parcours bruits, odeurs et conditions météorologiques particulières. Ces aspects plus sensibles accentuent la notion de « défilement », nous parlent également de représentations (de racisme ordinaire en particulier), et permettent une analyse urbaine contrastée des quartiers de Paris, le jour et la nuit. Les « espaces intermédiaires » – la proche banlieue – sont aussi convoqués, lesquels endossent le rôle de « territoires d'intersection » entre les trois personnages principaux du roman.

Enfin, nous confronterons nos analyses avec les intentions et les lectures de l'auteur lui-même, Frédéric Ciriez, qui a accepté de nous accorder un entretien. En envisageant la réception de l'auteur quant aux lectures géographiques que nous proposons de son œuvre, nous espérons nourrir le dialogue entre géographes et auteurs afin que la littérature ne soit pas seulement un objet de recherche mais bien un support d'échanges nous permettant de mieux comprendre la dimension spatiale de notre rapport au monde, y compris dans sa dimension sensible. Cela est d'autant plus nécessaire que les géographes qui s'intéressent à cette question sont souvent démunis – notamment en terme de méthodes – quand il s'agit d'appréhender cette dimension sensible voire émotionnelle de nos relations à l'espace.


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