Le film documentaire Entrer, sortir, traverser (Marseille, 2016, 36') est issu d'une recherche ethnographique que j'ai conduite auprès d'une famille de Roms roumains vivant en squat dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille. Il s'inscrit dans une plus large recherche qui vise à (re)questionner les inscriptions de la marginalité urbaine en observant les pratiques socio-spatiales que ces migrants en condition précaire déploient dans la ville.
Le « système de déplacement » (Bourgeot 1986), caractérisé par la mobilité géographique, renvoie à la spatialisation de dispositifs techniques, juridiques, symboliques à travers lesquels se médiatisent les rapports humains avec leur environnement naturel et social. Si les modalités de déplacements et d'usages des espaces mises en place par les Roms dans la ville dépassent largement les lieux habités (le squat dans notre cas), permettent-elles pour autant de « franchir » les marges urbaines, en révélant leur caractère poreux, temporaire, éphémère ? Permettent-elles, ainsi, à ces migrants d'accéder à la ville, malgré leur condition de précarité ? De là vient le questionnement méthodologique qui est à la base de la construction du film : comment saisir et représenter ces aspects « insaisissables » du vivre en marges ?
Le choix d'une approche audio-visuelle permet d'intégrer la perspective d'un terrain et d'une ethnographie en mouvement, dans lesquels la caméra et la prise de son rendent compte des mobilités et des ancrages des personnes rencontrés et des espace-temps qu'ils investissent avec leurs pratiques quotidiennes. Ainsi, mon approche s'inscrit au croisement du pragmatisme relationnel et des théories plus-que-représentatives (Thrift 2008). Ces deux courants théoriques mettent notamment l'accent sur la connaissance progressive faite à travers le corps et l'expérience, ainsi que sur le caractère intrinsèquement relationnel de la connaissance qui vient des relations que nous avons avec les autres. L'outil-caméra permet de saisir ce que l'on observe, ce que l'on écoute, mais aussi les affects et les émotions, les récits qui passent par la parole mais aussi par les regards et les gestes. Les participants se racontent ainsi de manière multiple.
Ce film est la narration d'un voyage qui se déploie sur plusieurs niveaux : celui que le chercheur fait dans et à travers le terrain ; le voyage que font les Roms entre Marseille, Lyon et la Roumanie ; leur voyage –à la fois réel et imaginé– entre l'ici et le maintenant, l'ancrage et la mobilité du passé, les désirs futurs. L'espace-temps du présent et de l'intérieur de leurs lieux de vie devient ainsi un dispositif pour raconter un voyage plus global de ces Roms qui se joue entre d'une part, des parcours assez visibles dans la ville –récupérer les déchets, faire la manche, se déplacer d'un squat à l'autre, d'une ville à l'autre : ces pratiques qui fondent la stigmatisation et le rejet dont ils sont victimes ; et d'autre part, des parcours intimes moins visibles mais beaucoup plus prégnants pour eux, qui nous racontent d'autres manières de vivre la ville et de mettre en défi cette condition de marginalité.