Dans le champ de l'architecture contemporaine, les pratiques et opérations cartographiques réalisées par certains architectes mobilisent de manière spécifique et différenciée la dynamique du parcours, et plus précisément la représentation de trajectoires de vie(s) en lien avec les phénomènes tragiques et massifs aujourd'hui sur les réalités et effets des migrations des crises environnementales, guerrières et/ou économiques. L'architecture est ici prise comme discipline agissant dans la production et la représentation d'espaces habités, mobilisant les outils de représentation spatiale comme la carte aussi bien pour l'analyse (toujours spatiale) que pour la conception. Cette discipline développe des compétences dans la capacité à représenter des phénomènes ou dispositifs spatiaux à différentes échelles (du territoire au détail constructif), à fabriquer des images, dont les cartes, pour figurer des mondes, pour les mettre en question en faisant resurgir par la mise en visualisation des situations critiques (la dimension analytique), pour les mettre en projet en faisant resurgir des dimensions plus sensibles facteurs de dynamiques configuratrices et de nouveaux agencements spatiaux.
Ainsi, la communication va s'appuyer sur 3 expériences cartographiques des trajets migrants, comme corpus issus des milieux de l'architecture connectés à la recherche ou à l'art, et liées à des supports de diffusion publique (exposition / livre) où la production cartographique est consubstantielle à la spécificité de leur démarche :
- « EXIT » des architectes Diller Scofido + Renfro et Laura Kurgan pour l'exposition Terre Natale dirigée par Raymond Depardon et Paul Virilio (nov. 2008 – mars 2009 à la Fondation Quartier à Paris, puis en résonance avec la COP21, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, la nouvelle mise à jour dans le cadre d'une exposition-installation au Palais de Tokyo à Paris nov. 2015 – janv. 2016)
- « FORENSIS » ensemble de situations et actions dévelopées par Forensic Architecture – (Centre for Research Architecture – departement of visual cultures – University of London) dont les travaux présentés à la Biennale d'architecture de Venise mai – nov 2016
- « DIASPORIC AGENCIES » de Nishat Awan (architecte – University of Sheffield), basé sur un travail de recherche doctorale avec recherche sur la représentation des parcours des habitants issus de l'immigration
Ces 3 expériences nous permettrons d'introduire tout d'abord en quoi la ‘cartographie des parcours' traite d'une mutation et du passage de la géographie (identité, localité, territorialité) pour la trajectographie, en allant vers la traçabilité où le trajet de la personne domine sur l'identité d'origine (Virilio). Les technologies de géolocalisation et du big data prennent alors une place importante, où la cartographie se dessine avec le satellite mais aussi avec la main du migrant où des effets de récits entrelaçant une odyssée d'ordre global, cherchent à inscrire un mouvement à l'échelle de la planète sur une mappemonde, avec une réalité intime, extrêmement locale et spatialisée dont les outils de représentation sont à réinterroger notamment dans l'articulation à l'acte de concevoir des espaces habités dans la dynamique d'une trajectoire de vie en prise avec la migration.
La notion de mobilisation sera investie, premièrement, par le caractère démonstratif et ‘mobilisateur' en terme de conscience du public sur les effets, impacts, drames et injustices qui se jouent aujourd'hui dans les phénomènes massifs de migration, et dans une large mesure sur les contextes dans lesquelles ses cartographies sont diffusées avec le rôle et la place des installations spatiales cette fois des cartes elles-mêmes pour impliquer, presque immerger pour ‘mobiliser' (sensibiliser) le public. Deuxièmement, la mobilisation touche également l'évolution des outils pour concevoir la place, les agencements spatiaux dans la conception architecturale et urbaine.
Fondamentalement, en explorant la notion de trajectoire, de trajet, au cœur d'un phénomène de déplacement sans précédent, les cartographies présentées montrent tout à la fois la dimension globale, terrestre des enjeux, des impacts, comme ce qui se passe dans le micro avec les récits qui leur sont associés en texte et images. Paul Ricoeur a lui-même déjà explicité les liens et relations entre architecture et narrativité. Mais clairement cette question des trajets, de la migration, met le doigt sur la constitution d'un type de récit particulier, par des opérations cartographiques, que l'on appellera et définira ici comme ‘géo-récit' opérant dans le processus d'appropriation réciproque de l'humanité et de la Terre... un processus complexe et mis à l'épreuve de manière cruciale aujourd'hui...